L’échiquier, placé à proximité immédiate du chêne, domine l’ensemble du mémorial. Il est composé de soixante-quatre dalles roses et blanches, de soixante-dix centimètres de côté qui épousent naturellement la forme du sol. Vingt-trois de ces dalles représentent les villages de la vallée ayant perdu plusieurs de leurs enfants au front, elles sont incrustées d’éclats noirs représentant chacune des victimes.
Le choix délibéré des élèves, dès l’origine du projet, d’associer le jeu d’échecs et les victimes des combats regroupés par village offre un raccourci saisissant qui frappe les esprits. Il laisse la place à de multiples interprétations ; chacun des mots employés ici leur donne un poids considérable du fait de leur proximité : jeu, échecs, victimes, combats…
Ce choix n’est nié par personne. On trouve par exemple cette citation extraite d’une communication du Ministère des Armées : "Le champ de bataille et l’échiquier offrent plus que des similitudes. L’exigence du raisonnement, l’infini des possibles, les conséquences. C’est tout l’intérêt de l’organisation d’une partie dans laquelle se mesureront les écoles militaires, École de guerre en tête et Anatoly Karpov. (Ministère des Armées. Ecole de guerre)". Aujourd'hui encore les Etats restent vigilants, retenant les leçons de l'histoire, ils savent que la guerre est toujours possible et s'y préparent.
Cent ans après la fin de la Grande Guerre, à l’ombre du chêne séculaire, en écoutant le silence, voici peut-être venu le moment de réfléchir et de ne pas oublier.
L'échiquier, comme les autres monuments du Mémorial, a été conçu pour durer, pour évoluer et vieillir. Plus que les autres peut-être, il va changer au cours des ans. La végétation va l'envahir, la nature va peu à peu s'en emparer. Ceci aussi est voulu: les souvenirs s'effacent mais il suffit d'une légère trâce pour les faire ressurgir.
Le jeu
Seize sont blancs. Seize sont noirs.
Alignement d’un face-à-face.
Selon son rang, chacun se place.
En symétrie, de part en part.
Les plus petits sur le devant.
Seize sont noirs. Seize sont blancs.
Huit fois huit cases. Un jeu démarre.
Joutes, et coups bas, et corps à corps,
et durs combats. Ultime effort
pour asséner à ceux d’en face :
« Échec et mat ! le roi est mort ! »
Complimenté est le gagnant.
Mais la revanche est dans le sang.
Déjà tout se remet en place.
Et du combat ne reste trace.
Tout aussitôt le jeu reprend.
Seize sont noirs. Seize sont blancs…
N’ayant soixante-quatre cases
ni trente-deux participants,
mais autres nombres et autres temps,
la vie, pourtant, a mêmes bases.
Esther Granek, Synthèses, 2009